
Le film noir fait partie intégrante du genre cinématographique; c'est aussi un film dont le héros est soumis à l'indéniable précarité de l'espèce humaine. Généralement, le héros se trouve écrasé de façon infaillible par une morale tragique et un destin dramatique. Si l'on peut considérer que "M le Maudit" marque le début de son histoire, des films aussi différents que "Bob le flambeur" de Melville ou "Hana-bi" de Takeshi Kitano peuvent y être rattachés.
L'heure de gloire du film noir se situe cependant entre "Le faucon maltais" (1941) de John Huston et "Traquenard" de Nicholas Ray (1958). Fortement marqués par l'influence de l'expressionnisme allemand et de Fritz Lang, ces films pessimistes et forts se nourrissent de l'influence des films policiers, de gangsters, et du film de m½urs. La silhouette sous gabardine usée du détective privé de seconde classe, cynique et blasé, employé par une femme vénéneuse, sexy et trouble, attendant sous la pluie et une gabardine, au cours d'une filature pour une enquête dont les véritables implications lui sont cachées, reste un indémodable de l'imaginaire cinématographique.

L'apogée du film noir se situe après celle du film de gangsters. Alors que celui-ci nait avec la Prohibition, le film noir est davantage lié à la détérioration de la situation économique et sociale. Les dockers de San Francisco font grève en 1934 et 1937 ainsi que les ouvriers de General Motors en 1936 et 1937. Et, cette même année, la sidérurgie est victime d'une crise particulièrement dure. Le 20 janvier 1937, Roosevelt, élu en 1932 et en 1936, déclare : "Je vois un tiers de notre population mal vêtue, mal nourrie et mal logée." Le film noir est ainsi une période qui verra la pré-guerre, la seconde guerre mondiale, le retour au pays des combattants, la guerre de Corée et la guerre froide. Les théories de Freud et la psychanalyse marquent le film noir avec ses héros amnésiques, hantés par leur passé, à la recherche d'indices leur permettant de retrouver leur identité. La rue Rouge (1945) de Lang montre que le crime est au fond de chaque individu. Dans Détour (1945) d'Ulmer, réalisé avec peu de moyen, le flou traduit le désarroi des personnages. Chasse au gang (De Toth, 1954) remet en cause le principe selon lequel, aux USA, on a toujours une seconde chance. Outrage (1950) de Lupino, insiste sur les violences subies par les femmes : bigamie, grossesse non désirée ou viol. Le Faucon maltais (1941) est souvent considéré comme le premier film du genre, mais d'autres le font remonter jusqu'au film Les nuits de Chicago (1927, Josef von Stemberg).

La soif du mal (Touch of Evil), tourné en 1958 par Orson Welles est généralement considéré comme le dernier film noir classique. D'autres films reprenant les canons du film noir, tournés après cette date, sont généralement qualifiés de néo-noirs par les Anglo-Saxons. On compte environ 250 à 400 films qui répondent aux critères de définition du film noir tournés pendant cette période de dix-sept ans.
La fin des grands studios entraine la fin provisoire du genre aux Etats-Unis. Après 1958, année particulièrement faste avec Vertigo, Traquenard et La soif du Mal, il faut attendre 1967 avec Le point de non retour de Boorman pour retrouver un grand film noir américain. En 1974, Polanski ressuscite le genre avec Chinatown mais cette réussite est une résurgence du film noir des années cinquante. En trois ans, cinq films au moins vont en effet transformer les Sam Spade et Philippe Marlow des années 50 en des policiers aux prise avec une banalisation du mal dans l'exercice de leur métier dont ils ne pouvaient sortir indemnes. Ce seront L'inspecteur Harry (Don Siegel, 1971), French connection (William Friedkin, 1971), Les flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972), The offence (Sidney Lumet, 1973) et Serpico (Sidney Lumet, 1973).

La figure de Harry Callahan, inspecteur de police de San Francisco, connu pour ses méthodes brutales, dangereuses, parfois proches de l'illégalité, mais en général efficaces et guidées par un sens moral très élevé même s'il n'est pas partagé par sa hiérarchie va dominer el film noir des années 70 et 80.Il est toujours interprété par Clint Eastwood à chaque fois dirigé par un metteur en scène différent.
Dans L'inspecteur Harry (Dirty Harry, Don Siegel, 1971) il se retrouve aux prises avec un tueur en série, Scorpio, et sera amené à jeter son insigne à la fin du film pour l'avoir exécuté sans avoir pu sauver sa victime retardé par l'attitude de ses chefs. Dans Magnum Force (Ted Post, 1973), il doit faire face à son chef, Briggs, aux méthodes encore plus expéditives que les siennes. Dans L'inspecteur ne renonce jamais (The Enforcer, James Fargo, 1976), son chef est un incapable, le maire est enlevé et il fait équipe avec une femme. Dans Le Retour de l'inspecteur Harry (Sudden Impact, Clint Eastwood, 1983), il laisse échapper la criminelle qui exécutait ses violeurs. Dans La dernière cible (The Dead Pool, Buddy Van Horn, 1988), il est devenu la coqueluche des médias s'éprend d'une journaliste et tue un tueur en série : la boucle est bouclée.

Dans les années 90, Brian de Palma, Joël Coen et Clint Eastwood perpétuent avec succès le genre dans sa patrie d'origine. Mais c'est Abel Ferrara qui avec Bad lieutenant (1992) pousse à bout les effets de la contamination du mal dans un élan mystique qui fera de ce film le film culte des années 90. Le mal banalisé contamine le quotidien de Harvey Keitel avant que, dans une atmosphère judéo-chrétienne maintenue de bout en bout, la grâce ne finisse par surgir, libérant le héros de sa folie meurtrière et autodestructrice pour le laisser mort, abattu par des tueurs, mais "sauvé".
En France, le réalisme poétique qui traite de la crise des années 30 et dans lequel le poids du destin est particulièrement fort et la Nouvelle vague avec ses criminels d'occasionnels en rupture avec la société donneront quelques grands films noirs.
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