L'Épiphanie : un événement symbolique ?

En ce jour de l'Épiphanie, nous allons voir aujourd'hui que le récit des mages même s'il n'est pas authentique s'est établi sur un fait qui s'avère lui réel. Pour les exégètes actuels, le récit des mages dans l'évangile de Matthieu est symbolique, mais de là à dire qu'il n'a pas eu de fond historique, c'est aller un peu vite. Mais pour d'autres ce n'est pas tout à fait vrai, car un événement historique peut l'avoir inspiré, la visite de Tiridate Ier (Tradt), roi d'Arménie à Rome en 66.

L'évangile de Matthieu a sans doute été composé entre 80 et 90, mais il se peut aussi que de grands événements ont marqué ses rédacteurs, comme la première guerre judéo-romaine (66-70), la destruction du Temple en 70 et le fait que les chrétiens furent chassés des synagogues à partir de 90. Un fait marquant se dégage aussi durant cette période, le retour de Néron qui ne serait pas mort en 68 à travers de faux prétendants à partir de 69. Les auteurs ont une grande connaissance du judaïsme et savaient puiser dans des événements historiques qui pouvaient parler au lecteur. Et si le récit des mages était l'un d'eux ? Après tout, pourquoi pas.

La visite de Tiridate est très intéressante et semble avoir inspiré le récit de l'évangile. D'abord présentons rapidement ce roi d'Arménie. Tiridate Ier est le frère de Vologèse Ier, roi des Parthes, il fut porté au pouvoir en 54 par un soulèvement national. Un moment détrôné au profit de Tigrane VI par V. Domitius Corbulo (58-59), il l'attaque en 60 sans succès afin de réclamer son trône. Mais la tentative malheureuse de Tigrane contre le roi d'Adiabène, permet à Vologèse Ier de le remettre son frère sur le trône d'Arménie en 61, tout en le poussant à négocier avec Rome. Tiridate déclare alors à Corbulo en 63 qu'il est prêt à accepter de recevoir son diadème de dirigeant de Néron, en cas de besoin. Cela va donner sa visite à Rome en 66.

Le voyage qui le mène à Rome en 66, il est très ressemblant à celui que l'on trouve dans l'évangile de Matthieu (2, 1-13). Tiridate est un roi mage, qui professe le culte de Mithra. D'où l'idée qu'un "roi mage" vint visiter un "grand roi sur Terre", et cela du inspirer les rédacteurs de l'évangile de Matthieu avec son récit des mages venant visiter le "futur roi des Juifs" Jésus (Matthieu 2, 1-2). Et Tiridate le fait avec faste, puisqu'il fait un séjour de 9 mois avec une grande escorte comme nous le raconte Dion Cassius (Histoire romaine, LXII, 135-145), dans laquelle se trouvait sa femme et ses enfants couvert d'un casque d'or et de deux de ses frères. Dans son escorte se trouvait aussi un cortège imposant, comprenant de nombreux seigneurs féodaux, 3000 cavaliers, et aussi un grand nombre de Romains. Le voyage ne pouvait pas être maritime en raison des interdits liés à la fonction de mage de Tiridate. Il est aussi accompagné notamment d'autres mages. Ce défilé impressionne partout où il passe par son raffinement et sa splendeur.

Arrivé sur place, Tiridate se rend à Naples où il rend honneur à Néron en lui disant qu'il est le nouveau Mithra, puis ce dernier lui pose le diadème de roi d'Arménie. Ce passage est intéressant, car il peut très bien s'apparenter à celui des mages qui offrent des présents royaux à Jésus qui sont de l'or, de l'encens et de la myrrhe (Matthieu 2, 11). Il est traité avec respect et honoré avec de massives festivités. Il fait l'éloge de Corbulo à l'empereur pour montrer à ce dernier qu'il choisit bien ses hommes, mais il n'est pas compris. Voulant inviter tout incident, Tiridate prodigue les flatteries et les soumissions à Néron, qui lui permet de rebâtir Ataraxa. Pline l'Ancien dans Histoire Naturelle, XXX, 16 s (VI), nous dit que Tiridate entretient Néron des cérémonies des mages (magicis cenis), tandis que ce dernier l'entretient des coutumes romaines. Ensuite, Néron ferma les portes du temple de Janus et proclama l'avènement de la paix universelle.

Ne cherchant pas à prendre de risques, il ne revient pas sur la route qu'il avait prise précédemment, mais navigue en arrière pour l'Arménie en utilisant un itinéraire différent. Il vient à travers l'Illyrie et au nord de la mer Ionienne pour naviguer à partir Brundisium à Dyrrachium. Cela rappelle l'épisode des mages qui doivent rebrousser chemin suite à un songe pour protéger l'enfant Jésus et aussi pour ne pas risquer la mort par les mains d'Hérode le Grand (Matthieu 2, 12). Par la suite, les relations qu'avait Tiridate avec Néron furent calmes et ce dernier lui donna les ressources financières et les artisans nécessaires pour reconstruire Ataraxata, renommé Neronia, et ce dernier put embellir sa résidence royale à Garni.

La même année, la comète de Halley apparaît, au moment où les Juifs se soulèvent contre Rome. On la voyait à l'aube dans le ciel à l'est, et elle était visible toute la journée, puis se déplaça en direction de l'ouest. L'astre qui se lève et guide les mages peut s'y apparenter (Matthieu 2,2; 2,9 et 2,10). Cette comète semblait signaler la mort d'un grand personnage, alors Balbilus l'astrologue de Néron pour calmer les inquiétudes de ce dernier le pousse à assassiner des citoyens éminents, pour apaiser les dieux, et Néron ne se prive pas de le faire. Cet épisode s'apparente très bien aux inquiétudes d'Hérode le Grand de voir un rival potentiel pour le trône dans l'évangile (Matthieu 2, 3-4) et la mort des citoyens éminents aurait inspiré le massacre des innocents (2,16).

Ce récit de l'évangile de Matthieu s'inspire du voyage du roi mage Tiridate venu rendre hommage à Néron, et met à la place de ce roi client de l'empereur, des mages étrangers venus rendre hommage et apporter des présents à un enfant palestinien qui va devenir le futur roi des Juifs. Le texte va plus loin encore, en poussant les chrétiens à ne pas croire en un retour de Néron, qui s'était suicidé en 68, même si 3 usurpateurs prétendant être Néron firent parler à partir de 69, car les Romains ne voulaient pas croire à sa mort, pour montrer que le seul véritable roi à qui l'on devait rendre hommage était Jésus et qu'il reviendrait, et pas cet usurpateur qu'était Néron pour les auteurs de l'évangile qui selon une croyance commencerait à reconquérir son empire d'Orient à partir de Jérusalem. Et si les chrétiens avaient vu Vespasien comme ce nouveau Néron ? Il fut chargé par Néron de prendre Jérusalem, et il fut proclamé empereur en 69, devenu maître de Rome, son fils Titus prend et détruit Jérusalem 70. Un événement qui va marquer durablement la communauté chrétienne et ne pas donner une bonne image de cet empereur.

Merci et bonne fête de l'Épiphanie !