L'esclavage à Rome : une institution complexe

Déportés dans les mines ou dans les carrières, machines humaines tout juste bonnes à faire tourner la meule à blé, métamorphosés en bêtes pour la gloire de la Rome républicaine et impériale, tels furent les esclaves. Les prisonniers de guerre, les pirates, les déserteurs, les endettés font partie de cet ensemble. On peut l'être aussi de naissance. Leur chiffre tourne autour de 400 000 et ils représentaient à peu près 30 à 50% de la population.

 

Mais ce serait une grossière erreur que de reporter sur ces esclaves notre propre mentalité forgée par deux mille ans de christianisme et justement renforcée par l'abolition de l'esclavage au XIXe siècle et le développement d'un machinisme perfectionné. Pour les Romains les esclaves sont des outils précieux dans une civilisation non mécanisée, les esclaves nécessitaient attention, soins et ménagement. Objet de propriété et traités comme du bétail (on le vend sur des marchés aux esclaves, on les fait se reproduire, on expose leurs enfants sur les marchés aux esclaves, et ils ne peuvent rien posséder, ni se marier ou avoir des familles légitimes), ils participent à toutes les activités économiques : présent dans les champs, les mines, les ateliers et mes arènes comme gladiateur, il est également commerçant, enseignant ou administrateur. Esclave domestique, il évolue dans l'environnement immédiat des maîtres et des maîtresses, et participe souvent à l'éducation des enfants. La diversité des emplois pour les esclaves dans la société romaine a permis de les disperser et d'éviter l'union de la population esclave. Encourager les esclaves à s'identifier à leurs occupations individuelles et à la production leur a également fourni une place dans une communauté, celle de la famille.

 

Sans avoir de leur condition une vision idyllique, ils ont aussi des rapports de confiance et d'affection entre eux et leurs maîtres. Les esclaves sont gardés dans ce que les propriétaires considéraient comme des conditions physiques «adéquates», dans des degrés de sécurité matérielle qui étaient souvent très variable et ne se transportaient jamais dans l'abondance. Beaucoup de personnes de rang et de fortune inférieures (qui pouvaient les louer un entrepreneur disposant d'un stock réservé à cet usage), voire celles de richesse minimale, pouvaient aussi posséder au moins un petit nombre d'esclaves, parfois un seul. Le prestige d'un Romain se mesure au nombre d'esclaves qu'il possède.

 

Mais, la violence est aussi à l'origine de leur condition puisque les esclaves sont toujours soumis à l'indignité, à la violence et au caprice de leur maître, et l'accompagne sa vie durant comme le montre l'utilisation de la torture (abus physiques), des abus sexuels, et ils subissent le supplice infamant de la croix s'ils sont condamnés à mort, qui sont demeurées constantes dans l'esclavage romain, jusqu'à son affranchissement, s'il l'obtient, une situation qui se généralise sous l'Empire, mais qui ne rend pas l'institution moins brutale.

 

Les esclaves romains ont réagi à l'esclavage avec une variété de stratégies qui ne peuvent être considérées comme des stratégies de résistance destinées, dans une mesure ou une autre, à améliorer leur vie et à réduire les difficultés de leur servitude. La résistance avait une place structurelle et élémentaire dans l'histoire de l'esclavage à Rome, et ceux qui composaient les populations d'esclaves romains, dans toute sa diversité, visaient à améliorer leur vie en tant qu'individus ou comme membres de petits groupes par tout les moyens d'auto-assistance qu'ils pourraient trouver.

 

Ils peuvent se suicider, agresser leur propriétaire, s'échapper pour revenir dans leur patrie originale ou simplement pour trouver un refuge sûr ailleurs et l'on engageait des attrapeurs d'esclaves professionnels pour chasser les fugueurs et on publiait des publicités dans des lieux publics donnant des descriptions précises des fugitifs et offrant des récompenses pour leur capture, faire des actes d'entrave ou de sabotage délibéré qui nuisent aux intérêts des propriétaires d'esclaves (voler de la nourriture ou d'autres fournitures du ménage, des postes dans les postes responsabilité peuvent falsifier des livres d'archives, et détourner de l'argent de leurs propriétaires, ou organiser leur propre affranchissement, tandis que les ouvriers agricoles blessent les animaux avec lesquels ils travaillaient pour éviter le travail, prétendent être malades, détruisent l'équipement ou endommagent les bâtiments, tous les esclaves pouvaient jouer ou perdre du temps).

 

La manière la plus évidente de résistance était la rébellion ouverte. Entre 140 et C.C. et 70 C.-B., Rome a été confrontée à trois rébellions d'esclaves majeures. Deux des soulèvements ont eu lieu dans la province de Sicile. Le troisième et le plus mémorable, mené par le gladiateur Spartacus, a eu lieu en Italie et a posé une grave menace pour la ville de Rome. Les Romains craignaient toujours un autre Spartacus. Le philosophe Sénèque raconte qu'une proposition a été faite au Sénat romain qui exigeait que les esclaves portent des vêtements distinctifs afin qu'ils puissent être facilement reconnus. Mais une fois que les sénateurs se sont rendu compte que les esclaves pouvaient alors prendre conscience de leur force et faire cause commune contre leurs maîtres, ils ont abandonné cette idée.

 

Enfin, le christianisme n'a pas abolit, dans l'Antiquité, l'esclavage. La possibilité d'une amélioration significative que les principes égalitaires du christianisme ont théoriquement créée a été fermée par son incapacité à développer une nouvelle perspective intellectuelle à partir de laquelle l'esclavage pourrait être considéré comme mauvais. Beaucoup d'auteurs chrétiens ont écrit sur la nécessité de bien traiter les esclaves. Cependant, ces mêmes auteurs ont écrit que les esclaves devraient accepter leur situation de vie. L'esclavage perdurera durant l'Antiquité tardive avant d'être remplacé par le servage.

 

Au total, la vie et la mort des esclaves, c'est aussi la vie et la mort d'une civilisation qui fit de l'esclavage une effroyable nécessité pour tenter d'assurer, avec le sang et les larmes d'hommes et de femmes-machines, sa gloire et sa pérennité dans la plus cruelle des contradictions.

 

Pour plus d'information, je vous propose ces lectures : Keith R. Bradley, Slavery and rebellion in the Roman world, 140 B.C.-70 B.C., Indiana University Press, 1989, et Slavery and Society at Rome, Cambridge University Press, 1994; Joël Schmidt, Vie et mort des esclaves dans la Rome antique, Albin Michel, 2003; Jean Andreau et Raymond Descat, Esclave en Grèce et à Rome, Hachette Littératures, 2006 ; et http://www.bbc.co.uk/history/ancient/romans/slavery_01.shtml.

 

Merci !