Nikola tesla, victime de son succès actuel

Aucune personnalité de l'histoire de la science n'a été poussée plus loin dans le domaine de la mythologie que l'ingénieur électricien serbe-américain Nikola Tesla. Il est, sans aucun doute, l'un des véritables géants de l'histoire de la théorie électromagnétique, et en tant qu'inventeur, il était aussi prolifique que possible. Au moins autant de fiction que de faits ont tourbillonné autour des récits populaires de sa vie, et les adeptes des théories du complot et des hypothèses scientifiques alternatives ont détourné son nom plus que celui de toute autre figure. Aujourd'hui, nous allons essayer de séparer cette fiction du fait. Regardons d'abord le personnage de plus près.

Nikola Tesla est un inventeur, né en 1856 à Smiljan, en Croatie. Après des études de physique et de mathématiques à la Realschule de Karlstadt (1873), à l'école polytechnique de Graz et à l'université de Prague, Nikola Tesla s'intéresse à l'électricité qui deviendra sa spécialité. Employé tout d'abord par le gouvernement autrichien comme ingénieur du télégraphe, il travaille ensuite dans l'électrotechnique à Budapest et à Paris. Il se rend aux États-Unis comme un immigrant serbe sans le sou, en 1884, où il occupe un poste à la compagnie Edison (Orange, N.J.), poste qu'il abandonne bientôt, car une guerre va s'engager entre les deux hommes. Edison défend son système d'électricité continue déjà installé un peu partout aux États-Unis, alors que Tesla prône le courant alternatif, son invention, plus sûr et aux développements illimités, et il se consacre ensuite à la recherche en fondant le laboratoire Tesla à New York en 1886. Il va lors collaborer avec George Westinghouse qui enregistra un grand nombre de ses brevets.

Le premier, il conçoit une méthode efficace d'utilisation du courant alternatif et fait breveter en 1888 le moteur à induction pour gagner au final ce que l'on a appelé "la guerre du courant" face à Edison. Il invente la génératrice à champ tournant utilisée pour produire du courant électrique à partir de l'énergie hydraulique fournie par les chutes du Niagara. Tesla invente également de nouveaux types de dynamos, de transformateurs, de bobines d'induction, de condensateurs, de lampes à arc et à incandescence et différents appareillages électriques. Mais on lui doit bien d'autres inventions : la turbine en, les ampoules fluorescentes (néon) en, la radio en, la télévision en, le radar en, la télécommande sans fil, la robotique... Il est à l'origine du microscope électronique, de l'imagerie médicale, de notre actuel Wi-fi en et, dès 1919, Tesla élaborait un système d'information internationale qui n'est autre que le précurseur d'Internet.

"Le Sorcier", comme on le surnomme, prospère à New York, où il donne plusieurs de ses célèbres conférences. Il est visité dans son laboratoire sur Fifth Avenue par Mark Twain, et était assez influent pour obtenir des billets pour la première représentation de la symphonie du Nouveau Monde de Dvorak en décembre 1893. Pourtant, le travail indubitablement grand de Tesla ne le rendait pas plus riche, il lui manquait plusieurs compétences pour que les inventeurs puissent rendre justice à ses idées. Il voulait imposer sa vision matérielle du monde, plutôt que de trouver des moyens de gagner des bailleurs de fonds pour l'aider à fournir des biens et des services que les consommateurs voudraient réellement acheter. Très attaché à ses racines serbes, il adulait la poésie de son pays d'origine et écrivit des poèmes jusqu'à la fin de sa vie. Mystérieux et solitaire, il ne se maria jamais, tout en étant fort courtisé, et n'eût pas de descendance connue.

"Mes ennemis ont réussi à me représenter en tant que poète et visionnaire", a admis Tesla en 1903, ajoutant qu'"il est absolument impératif pour moi de sortir quelque chose de commercial sans délai." À cette époque, il travaillait à fond dans son centre de recherche de Wardenclyffe, à Long Island, où il avait l'intention de démontrer que l'énergie électrique pouvait être transmise sans fil. Aucune de ses idées n'ont fonctionné et son complexe de recherche a été démoli plus tard en 1917. En 1905, il avait de sérieux problèmes financiers et fait une dépression nerveuse. Sa carrière était terminée. Il était aussi capable de mettre en avant des idées fausses ou absurdes. Il a critiqué Einstein et la théorie de la relativité, croit que Mars était habité et signalait la Terre, et n'a aucun doute qu'il pourrait construire un rayon de la mort.

Il a vécu pendant près de quatre décennies, passant la plupart de son temps dans des hôtels de New York. En colère contre les investisseurs, jaloux de ses rivaux - en particulier Marconi et Edison - il a rejeté la critique et blâmé ses échecs sur tout le monde sauf lui-même. Le prix Nobel de physique ne lui est jamais arrivé. Il a tenu des audiences annuelles avec des journalistes le jour de son anniversaire, leur disant qu'il tortillait ses orteils des centaines de fois avant de se coucher pour vivre jusqu'à l'âge de 135 ans. Il mourut en 1943 à l'âge de 86 ans. Des espions à la solde d'Edison et de son banquier J. P. Morgan se présentent chez l'inventeur. Ruiné, perclus de TOCs, insomniaque chronique, et en fin de vie, Nikola Tesla, fait une dernière confidence sur une découverte "dérangeante" qui pourrait bouleverser le cours de l'humanité. Mais pouvait-on encore croire cet homme perclus de dettes ? En réalité ce n'est pas ses recherches qui étaient visée, mais sa prétention d'avoir créé une arme anti-char. Il a malgré tout reçu les condoléances du président Roosevelt.

À l'origine de quelques 800 brevets, sinon plus, certains ne sont toujours pas exploités, signe de l'avance de l'homme sur son temps... et encore sur le nôtre. Humaniste, son principal objectif était d'apporter gratuitement l'électricité dans les foyers et de la véhiculer sans fil. Mais il n'a jamais prétendu créer une énergie libre. On comprend pourquoi les industriels et autres banquiers âpres aux gains se sont efforcés de bâillonner ce génie dérangeant. Même si Tesla était parmi les scientifiques les plus prolifiques et les plus renommés de son temps, a pris de très mauvaises décisions financières et légales, permettant à d'autres comme Edison et George Westinghouse d'enregistrer des brevets pour ses inventions, ce qui explique qu'il finit dans la misère.

Ce crépuscule occulte dans lequel baigne Nikola Tesla intrigua plus d'un artiste. Ainsi l'auteur de science-fiction Christopher Priest en fit une figure centrale de son roman "Le Prestige", dont l'adaptation éponyme au cinéma (2006), signée Christopher Nolan, prête les traits de Tesla à David Bowie. Récemment le film de Jim Jarmush, "Only Lovers Left Alive" l'évoque, à travers le personnage d'Adam qui a recréé une machine permettant de distribuer gratuitement et sans fil de l'électricité dans son foyer. Il est également le personnage principal du roman de Jean Echnoz, "Des éclairs" sous le nom de Gregor. Martine Le Coz lui a consacré une biographie, "L'homme électrique" et un roman graphique, "La tour de Wardenclyffe", où sont évoqués ses idéaux humanistes sous l'ère Kennedy. Tesla apparaît dans les comics américains, pas toujours sous le meilleur jour (il fut l'un des premiers "vilains" contre Superman, un héritage d'Edison ?), et dans plusieurs séries télévisées ("Warehouse 13", "Sanctuary", "Les Enquêtes de Murdoch", "XIII : la série")... Tesla est depuis 2017 au cœur de ces "Confidences électriques", un spectacle vivant multidisciplinaire, dont l'originalité rejoint l'avant-gardisme de sa conception du monde.

Malheureusement pour Nikola Tesla, il est devenu aussi un des personnages favoris des théoriciens du complot, et il y a de nombreuses théories qui tournent autour de lui, dont la plupart prétendent que sa mort était suspecte et qu'il a fait une grande découverte ou une invention qui a été gardée secrète depuis. Dans certaines variantes, c'est le "rayon de la mort" sur lequel il travaillait, dans d'autres, une forme de communication paranormale ou extraterrestre. Le site "The Tesla Conspiracy" affirme qu'il aurait découvert le moyen d'extraire l'électricité directement de l'atmosphère, mais que cela a été étouffé pour les intérêts de sociétés pétrolières et énergétiques peu scrupuleuses. Le carburant métaphorique des conspirationnistes a été alimenté par le gouvernement américain qui a pris les papiers de Tesla après sa mort, mais pour s'emparer d'une arme anti-char qu'il aurait créé et pas dans un but capitaliste.

Une autre théorie générale est la notion que Tesla n'a jamais reçu le crédit qu'il aurait dû avoir, et son nom en quelque sorte être supprimé par "l'établissement scientifique". Ce qui est totalement faux, car il a été récompensé de la médaille Edison de l'American Institute of Electrical Engineers en 1917, de la médaille John Scott en 1934 et son nom a été donné en 1956 à l'unité d'induction magnétique : le tesla (symbole : T), qui est l'unité dérivée du Système international d'unités (SI) de l'induction magnétique (appelé parfois densité de flux magnétique ou champ magnétique). Alors qu'il est vrai qu'Edison était un homme d'affaires assez peu éthique qui a profité de Tesla et de beaucoup de ses contemporains, et même si le bureau des brevets admet maintenant que c'était Tesla, et non Marconi, qui a inventé la radio, les allégations de conspiration vont bien au-delà de cela et peu importe ce qu'on dira même si c'est vrai.

Des descriptions fausses de ses réalisations sont aujourd'hui trouvées partout. Son nom est largement barbouillé par association avec pratiquement toutes les théories de conspiration qui tournent sur la planète. Ils veulent des réponses faciles à des problèmes compliqués, et quand ils entendent que Tesla a inventé de telles réponses et que le gouvernement et l'industrie les ont supprimés, ils trompent son nom et tout le monde. Cela est devenu un peu plus qu'un culte, une insulte à l'homme et à ses accomplissements.

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures : Nikola Tesla, Mes inventions [«My Inventions: The Autobiography of Nikola Tesla»], Un infini cercle bleu, 2007, Martine Le Coz, L'Homme électrique, Michalon, 2009, Margaret Cheney, L'Homme qui a éclairé le monde [«Tesla, Master of Lightning»], Un Infini Cercle Bleu, 2010, Bernard Carlson, Tesla : Inventor of the Electrical Age, Princeton, Telegraph, 2013, Robert Lomas, L'Homme qui inventa le vingtième siècle [«The Man Who Invented the Twentieth Century»], Un Infini Cercle Bleu, 2014, John O'Neill, Le Genie Prodigue : L'Incroyable Vie de Nikola Tesla, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015, Agnès LECOURTOIS, « TESLA NIKOLA - (1856-1943) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 novembre 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/nikola-tesla/, https://culturebox.francetvinfo.fr/scenes/tesla-ses-confidences-electriques-spectacle-total-sur-un-genie-d-exception-154897, https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/faut-il-rehabiliter-nikola-tesla, https://rationalwiki.org/wiki/Nikola_Tesla, https://skeptoid.com/episodes/4345, et http://www.telegraph.co.uk/culture/10230811/Tesla-Inventor-of-the-Electrical-Age-by-Bernard-Carlson.html.

Merci !