Pie XII et la Seconde Guerre mondiale : derrière la polémique, un r...

Eugenio Pacelli, le pape Pie XII de 1939 à 1958, a un rôle très controversé. Pour beaucoup d'historiens, il aurait dû condamner bien plus fermement le massacre des Juifs mais ne l'a pas fait par prudence diplomatique et pour ne pas mettre en péril les catholiques dans l'Europe occupée. Les documents du régime nazi récemment mis à la disposition des historiens, montrent que le pape s'opposait activement aux plans nazis, et qu'il était vu par le régime nazi comme un ennemi mortel.

En 1930, Eugenio Pacelli, le futur Pie XII a en effet été rappelé à Rome pour succéder au cardinal Gasparri à la tête de la diplomatie pontificale. Cette nomination met fin à un séjour de treize années en Allemagne où il a successivement exercé les fonctions de nonce apostolique en Bavière, puis celle de nonce apostolique auprès de la République de Weimar à Berlin. Ce fut l'occasion pour lui de nouer des liens étroits avec l'épiscopat allemand et d'assister à la montée du nazisme. Pacelli supervise en tant que Secrétaire d'État, le concordat avec le IIIe Reich allemand le 20 juillet 1933, mais il supervise en 1937 l'encyclique de Pie XI contre le nazisme après qu'Adolf Hitler ne respecte pas les accords du Concordat. Dans sa première encyclique entant que pape, Summi Pontificatus, en octobre 1939, il reprendra largement les contenus de l'encyclique non publiée de son prédécesseur sur le racisme et l'antisémitisme, avec l'impossibilité pour l'Église d'accepter une discrimination à l'égard d'un groupe humain ou d'une race.

Pie XII et la Seconde Guerre mondiale : derrière la polémique, un rôle discret et diplomatique

Dès septembre 1939, lors de l'invasion de la Pologne, le pape choisit de garder la «neutralité» de l'Église. Pour protéger les catholiques d'Allemagne, Pie XII ne dévoile pas son jeu, de crainte des représailles contre eux. Dès le début des hostilités, alors que les Polonais, catholiques, sont victimes des exactions nazies, le souverain pontife choisit de ne pas fulminer et se contente de deux allusions à la situation catastrophique de la population polonaise sans nommer les responsables des crimes perpétrés. Le pape pour éviter des maux plus grands, le souverain pontife choisit en effet d'accorder la priorité à la diplomatie qui s'active en coulisses pour atténuer les souffrances des victimes du conflit, au premier rang desquelles on trouve les juifs.

Tandis qu'il envoie des cartes d'anniversaire à Hitler, il apporte son soutien à la Résistance intérieure allemande : des jésuites volent des plans militaires à Berlin, plusieurs tentatives d'assassinat du Führer s'organisent, celle entre 1939 et 1940 pour empêcher l'invasion de la France, celle de 1943 qui échoue après que la bombe dans l'avion d'Hitler n'a pas explosé, et celle de 1944, menée par le colonel catholique Claus Schenk von Stauffenberg qui blessa seulement Hitler, et le pape relaie des missives secrètes et des enregistrements clandestins aux Alliés. Pendant toute la guerre, le Saint-Siège se transforme en une agence d'espionnage, dont l'avocat bavarois Josef Müller est la figure héroïque qui trouva la mort en 1945, la même année que le père jésuite allemand Alfred Delp a travaillé à mobiliser un soutien de masse pour un gouvernement post-nazi et organiser des cellules de résistance parmi les anciens dirigeants des syndicats catholiques. Pour Mark Riebling : «Le souverain pontife ne se tint pas au-dessus de la mêlée, il œuvra au-dessous.»

Pour certains historiens, s'il n'a pas empêché les grands convois de 1943 de Rome vers les camps d'extermination, il a sauvé des dizaines de milliers de Juifs italiens en demandant aux couvents de leur ouvrir leurs portes. Disons aussi d'emblée qu'on fait souvent un mauvais procès à celui qui devient pape en mars 1939. Le travail patient des historiens ces dernières décennies a permis de rétablir certaines vérités. On songe par exemple à celui de Pierre Blet (Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d'après les archives du Vatican, Perrin, Paris, 1997 et Pie XII, Via Romana, Versailles, 2011). Ces travaux répondent aux ouvrages de John Cornwell, Le pape et Hitler (1999) et de Gary Wills, Papal Sin : Structures of Deceit (2000).

Pie XII a écrit une lettre qui a permis à 700 Juifs d'avoir un passage sûr en 1942 pour aller aux États-Unis. Plus de 2000 Juifs en Hongrie grâce au nonce Angelo Rotta ont reçu des documents fabriqués par le Vatican les identifiant comme des catholiques. Le nonce Giuseppe Burzio fait de même à Bratislava en Tchécoslovaquie. Évêques, religieux, religieuses participent à des actions de sauvetage. Les démarches diplomatiques sont le plus souvent ordonnées par le secrétaire d'État, Luigi Maglione. À partir de septembre 1943, le Vatican cacha et aida 4000 à 6000 prisonniers et espions alliés à éviter les camps de concentration grâce au réseau de Hugh O'Flaherty. L'action de ce dernier était protégée et soutenue par Pie XII. Le quotidien catholique italien Avvenire a publié en 2005 de nouveaux détails sur un projet d'enlèvement de Pie XII par Hitler en 1943. Dans une déclaration écrite, le général Karl Wolff, commandant SS de Rome, affirme qu'Hitler considérait Pie XII comme un «ami des juifs». Le général SS aurait alors informé le pape d'un plan visant à l'enlever du Vatican et prévenu d'«être sur ses gardes car, même si en aucun cas il n'aurait exécuté l'ordre, la situation était de toute façon confuse et comportait des risques». Pie XII aurait alors demandé à Wolff, en signe de sa sincérité, de libérer des Italiens devant être exécutés par les nazis, ce qui fut fait.

De septembre 1943 à juin 1944, lorsque les forces allemandes occupèrent Rome, Hitler chercha même à enlever le pape. Après la rafle du 16 octobre 1943, écrit clairement Milza (Pie XII, Paris, Fayard, 2014), c'est bien Pie XII qui a ordonné à toutes les maisons religieuses de Rome d'accueillir les Juifs en quête d'un abri contre la fureur allemande. Le grand rabbin de Rome, Israel Zolli a écrit un livre sur ses expériences et sa conversion au catholicisme, Before the Dawn (1954), où il a attesté du bon travail que Pie XII a fait pour protéger les Juifs contre les nazis. Les Juifs romains ont mis une plaque à leur synagogue pour remercier Pie XII pour son aide. Le Vatican a d'ailleurs dévoilé le 28 février 2018 sur le compte instagram du site Vaticannews des photographies inédites de réfugiés juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le pape Pie XII leur avait ouvert les portes de sa résidence d'été, le château de Castel Gandolfo entre 1943 et 1944. Près de 10 000 juifs pendant environ un an y ont été cachés et protégés. Pie XII n'a jamais été indifférent à leur sort. Scavizzi, un aumônier qui l'avisait plus tôt dans la guerre de ce qui se passait en Ukraine, témoignera plus tard de sa réaction: «Je le vis pleurer comme un enfant...» Le Vatican protesta même vigoureusement contre l'arrestation des Juifs, demandant l'interruption d'une telle action.

Pour son silence, Pie XII est pourtant sorti de sa réserve en noël 1940, il se félicite de l'aide spirituelle et financières aux réfugiés d'expatriés, d'émigrants, spécialement parmi les non-aryens, puis dans son radio-message de noël 1942, où il cite des milliers personnes où pour le seul fait de leur nationalité ou de leur origine ethnique, ont été voués à la mort ou à une progressive extinction. Il cite sans les nommer les juifs. Des messages clairement compris des chancelleries, des responsables allemands et des juifs. En 1943, le pape évoque devant le collège des cardinaux tous ceux qui, à cause de leur nationalité ou de leur race, sont parfois livrés, même sans faute de leur part, à des mesures d'extermination, en sachant que toute allusion publique pourrait rendre la situation encore pire. Le souvenir de la rafle de 1942 aux Pays-Bas suite à une protestation publique des évêques a laissé un mauvais souvenir.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale et au moins jusqu'en 1963, cinq ans après sa mort, Pie XII jouissait d'une très haute réputation tant auprès des juifs que des chrétiens. On saluait en lui «le prophète de la victoire, moralement inspiré» et, «de pratiquement partout, on applaudissait l'aide qu'il avait apportée aux juifs d'Europe». C'est à juste titre qu'un historien déclarait que «tous, catholiques et non-catholiques l'admiraient, reconnaissant en lui le chef spirituel, non seulement du Catholicisme mais de la civilisation occidentale elle-même». De fait, en 1951, l'illustre écrivain britannique (et catholique progressiste) Graham Greene faisait son éloge en disant : «nous sommes nombreux à penser que ce pape comptera parmi les plus grands». Beaucoup d'autres, catholiques et juifs, partageaient cette opinion, saluant cet homme pour les nombreux efforts qu'il avait déployés afin de sauver la vie de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Golda Meir a aussi salué Pie XII après la guerre, et le grand rabbin de Rome est devenu catholique, en prenant le nom de Eugenio en hommage à Eugenio Pacelli.

C'est sous forme de propagande communiste, à l'encontre de ce pontife résolument anti-communiste, qu'ont commencé les accusations grandiloquentes contre l'attitude du pape pendant la guerre, propagande qui fut facilement écartée. Pourtant elle revint sous la forme d'une pièce de théâtre, "Le Vicaire", du dramaturge allemand Rolf Hochhuth en 1963, adaptée dans le film à charge "Amen" du Grec Costa Gavras en 2002, ont renforcé l'image d'un pape lâche et conciliant face à Hitler.

Plus récemment, le travail des historiens a permis quelques changements. En 2012, le mémorial de la Shoah Yad Vashem à Jérusalem a édulcoré dimanche un texte accusant le pape Pie XII d'être resté passif face au sort des Juifs pendant la Shoah, en exposant en détail la controverse liée à son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale. Le nouveau texte conserve les arguments des critiques de Pie XII, présents dans l'ancien texte, mais présente aussi ceux de ses défenseurs. Ces derniers ont fait valoir que la "neutralité" de Pie XII avait permis "un nombre important de sauvetages clandestins à différents niveaux de l'Église", indique le nouveau texte, cité par le communiqué de Yad Vashem. Le mémorial de la Shoah a précisé avoir pris en compte les nouveaux développements de la recherche historique, à la suite notamment de l'ouverture des archives de Pie XII en février par le Vatican et des conclusions d'un colloque universitaire international "Le Pape Pie XII et l'Holocauste : état actuel de la recherche" tenu en 2009 sous l'égide de Yad Vashem.

Au Vatican, on essaye de redorer l'image de Pie XII entachée d'une rumeur durable à son encontre. En 2014, le pape François a défendu Pie XII dans une interview à un journal espagnol, promettant que des documents scellés provenant des archives secrètes du Vatican montreraient que le pape avait directement sauvé les Juifs italiens. Comme promis, le Vatican a publié certains de ces documents plus tard dans l'année. Plus récemment, au cours de sa messe matinale à Sainte-Marthe, le pape François a rappelé lundi 5 juin 2017 les «risques» pris par Pie XII pour que les juifs soient cachés dans les couvents pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures : Philippe Chenaux, Pie XII : diplomate et pasteur, Editions du CERF, 2003, Pierre Blet, Pie XII et la Seconde Guerre mondiale, Tempus Perrin, 2005, David G. Dalin, Pie XII et les juifs : Le mythe du Pape d'Hitler, Artège, 2007, Dominique Le Tourneau (Sous la direction de), Pie XII et la Shoah : Le choix du silence ?, Téqui, 2011, Pierre Milza, Pie XII, Paris, Fayard, 2014, et https://clio-cr.clionautes.org/pie-xii.html, Gordon Thomas, Le Secret de Pie XII : Le Réseau secret du Vatican pour sauver les juifs de Rome, L'artilleur, 2014, Mark Riebling, Le Vatican des espions : La guerre secrète de Pie XII contre Hitler, Editions Tallandier, 2016, et https://cruxnow.com/interviews/2016/06/17/pius-xii-active-conspirator-three-anti-hitler-plots/, et Andrea Riccardi, L'hiver le plus long : 1943-1944 : Pie XII, les juifs et les nazis à Rome, Desclée De Brouwer, 2017, https://www.la-croix.com/Archives/2005-01-17/Hitler-voulait-enlever-Pie-XII-_NP_-2005-01-17-227056, https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Pape/Quand-Vatican-accueillait-juifs-Seconde-Guerre-mondiale-2018-03-06-1200918618, et https://www.20minutes.fr/monde/963815-20120701-shoah-yad-vashem-edulcore-texte-critique-egard-pape-pie-xii.

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