Le Disco, un phénomène de société tué par son succès commercial

Malgré son succès planétaire, le disco est sans doute le genre musical qui a été le plus décrié. Ce mélange de funk, de soul et de pop, est né à New York dans les années 70, en réaction au rock, alors à bout de souffle. Phénomène international, le disco est sans doute le dernier genre musical de grande ampleur à avoir touché uniformément toutes les générations et tous les groupes sociaux. Né dans une période charnière, il fut une «parenthèse enchantée» qui garde encore aujourd'hui son aura d'insouciance et de légèreté. À la fois libérateur (diverses minorités se sont affirmées grâce à lui) et fédérateur (toutes les tranches d'âge s'y retrouvent), il reste pour chacun synonyme de fête, de plaisir et de liberté.

 

Apparu aux États-Unis à la fin des années 1960, dans les clubs obscurs fréquentés par les communautés afro-américaines, latines homosexuelles, et les classes laborieuses, le disco est un mélange de funk, de soul et de pop comme une réaction glamour à la musique rock bourrue, auto-indulgente de la fin des années 60. Les chansons diffusées n'ont qu'un objectif : danser. Mais, à l'origine, le disco n'est même pas une musique. The disco, c'est la boîte de nuit. Au début des années 1970, dans celles des quartiers de Brooklyn, du Bronx ou de Harlem, les disc-jockeys (ceux qui passent les disques) sélectionnent des chansons soul ou funk, souvent obscures, pour leur capacité à faire danser le public. Certaines peuvent bénéficier d'un mixage spécial, en studio, destiné à faire ressortir le fond rythmique (batterie, basse) afin de propulser la danse : le disco mix. Cette musique est alors faite par de petites maisons indépendantes.

 

Les spécialistes peinent à s'accorder sur la première chanson disco de l'histoire : "Soul Makossa" de Manu Dibango en 1972, "Rock the boat" de The Hues Corporation ou "Rock your baby" de George McCrae en 1974. "Never Can Say Goodbye" de Gloria Gaynor (1974), premier disque de disco, est l'un des premiers disques mixés spécifiquement pour la danse en club. En 1975, épaulée par les producteurs européens Giorgio Moroder et Pete Bellotte, Donna Summer fait alors éclater le genre avec «To Love You Baby» et devient la «reine du disco». Le style musical du mythique studio MusicLand de Munich se répand et en inspire d'autres. La même année, l'Américain Tom Moulton, considéré comme l'inventeur du remix, fait parler de lui. Alec R. Costandinos, le producteur égyptien, surnommé “le roi de l'eurodisco”, en 1976 co-signe sur le premier album de Cerrone les morceaux Love in C-Minor et Midnite Lady qui propulsent la french disco à son firmament, et poursuivra sa carrière entre 1977 et 1979 entre la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Le disco déménage au-delà des clubs et sur les ondes au milieu des années 1970. À partir de 1976, les listes du Top 40 américain éclatent avec des stars disco tels que Hot Chocolate, Wild Cherry, Chic, Heatwave, Yvonne Elliman, et Donna Summer, dont la chanson "I Feel Love" permet la révolution disco en 1977, où Giorgio Moroder et son collaborateur Pete Bellotte, suppriment tout ce qui relie le disco à la pop, à la soul ou au funk, ils en font quelque chose de futuriste, mécanique, avec des sons jamais entendus jusqu'ici, et n'y a que la voix irréelle de Donna Summer pour assurer la mélodie. La clé du succès commercial de ce style vient d'un certain nombre de labels indépendants tels que TK à Miami en Floride et Casablanca à Los Angeles.

 

Le disco évolue alors vers des sonorités électroniques émergentes ou des voix de légende. Les Bee Gees font partie de cette dernière catégorie. Ils vont grâce à "La fièvre du samedi soir" en 1977, dont ils composent les titres les plus connus ("Stayin' Alive", "Night Fever"...),  faire du disco un phénomène mondial qui perd alors son âme. Il s'en vendra 40 millions d'exemplaires. Il faudra attendre la parution de Thriller de Michael Jackson, en 1982, pour battre ce record. Sans oublier qu'un double album se vend plus cher qu'un simple. Mais, John Travolta la star du film mettra plusieurs années à sortir du statut d'acteur-danseur et s'en moquera dans une célèbre scène de Pulp Fiction (1994), film de Quentin Tarentino. Dans la foulée, la vague disco envahit les hit-parades. Le monde entier embrassera le phénomène à ce moment-là, alors que le disco était plutôt dans un public restreint. Chic, Gloria Gaynor, Pati Labelle, Chaka Khan, The Jacksons, Village People aux États-Unis, derrière lesquels se cachent Jacques Morali et Henri Belolo, deux arrangeurs français, ABBA, Boney M, dont le chanteur du groupe se contentait, en fait, de mimer les paroles, parce que la voix de ses morceaux était assurée par le producteur, un Allemand du nom de Frank Farian, ou Cerrone en Europe enchaînent les tubes. Les stars du rock et de la pop se convertissent à la nouvelle mode : Diana Ross, Ethel Merman, Frank Sinatra, Elton John et même les Rolling Stones ("Miss you" en 1978) se mettent au disco. Plus surprenant encore, est l'album disco de Mickey Mouse. En France, des vedettes des yéyés, Claude François, Dalida et Sheila en tête, se réinventent sous les boules à facettes, tandis que Grace Jones réinvente La Vie en rose en 1977, Patrick Juvet, prend une phase disco avec I Love America en 1978, et Patrick Hernandez sort le tube disco de l'été 1979 «Born To Be Alive», son seul tube, lui rapportant encore plusieurs centaines d'euros par jour.

 

Le triomphe de Saturday Night Fever - film et disque - ouvre la voie à de nombreux nanars au scénario prétexte, qui lient disco et cinéma. Thank God It's Friday (1978), de Robert Klane, avec Donna Summer, le polar Disco Godfather (1979), de J. Robert Wagoner, Can't Stop The Music (1980), de Nancy Walker, avec les Village People cornaqués par Valerie Perrine. Et Stayin' Alive (1983), qui voit le retour de Tony/Travolta dirigé par Sylvester Stallone. Tous sont plus ou moins des échecs. La résistance du rock vient aussi. En 1978, Dahl travaille pour une station (WDAI) qui fait tourner Led Zeppelin ou les Stones en boucle. Tout va... jusqu'au jour où la station change d'identité pour adopter un son 100 % disco. Dahl ne le supporte simplement pas : il quitte et entame dès lors au micro d'une nouvelle antenne une campagne anti-disco. Durant son émission, Dahl détruit des vinyles du genre en direct. Il organise un «Death to disco rally», crée la Kill Disco Organization (qui aura des milliers de membres), se présente à un concert de Village People (auteur de Y.M.C.A) où il se distingue en lançant des guimauves frappées des mots «disco sucks».

 

Mais le disco est surtout un phénomène de société. Les jeunes de l'époque se sentaient souvent dépassés par les problèmes sociaux qui les entouraient et ils cherchaient un style de vie plus insouciant. Dans le marasme des crises internationales et économiques, cette musique au rythme nouveau apportait une touche de folie, d'extravagance et d'espoir. La danse est alors devenue leur activité de loisir préférée. Il faut dire que le disco a été lancé aux États-Unis au sein de la communauté gay et noire, en incluant les femmes, dans la foulée de la libération des mœurs quelques années plus tôt. C'était révolutionnaire et underground. Les gays n'ont été autorisés à danser dans les boîtes de nuit qu'à partir de 1971. Dans les discothèques de New-York, on dansait seul sur la piste, dans une communion avec la foule et le DJ qui choisissait les morceaux. Or Saturday Night Fever en 1977 représente la colonisation de ce monde de la nuit par l'homme blanc, hétéro, rationnel. Il danse en couple, il n'y a pas de drogue, d'homosexualité. C'est Saturday Night Fever qui a corrompu l'esprit du disco. La musique y est très grand public et ne correspond pas au son que l'on entendait dans les discothèques de New-York à l'époque.

 

Le disco aura été le dernier sursaut des utopies collectives des années 1960, celles du rêve d'abondance permanente partagée par tous, du sexe libre et de la paix mondiale. Lorsque le genre s'expérimente dans les boîtes new-yorkaises, la guerre du Vietnam a tourné au cauchemar et le premier choc pétrolier (octobre 1973-janvier 1974) est un douloureux retour à la réalité. S'oublier dans les boîtes de nuit, c'est alors oublier que la récréation est finie et qu'il faut retourner au turbin. L'exubérance qui règne au Studio 54 et au Palace, la mode qui est aux shorts et aux rollers, les paillettes qui sont partout... Le monde ressemble alors à une boule à facettes. Les années disco, c'étaient aussi celles de l'élection surprise de Jean-Paul II en 1978 et de Marguerite Yourcenar, première femme reçue à l'Académie française en 1980, de la diffusion en France des premiers dessins animés japonais (Albator, Capitaine Flam, Goldorak) et de séries américaines cultes (Drôles de dames, Super Jaimie, Starsky et Hutch), du septennat de Valéry Giscard d'Estaing entre 1974 et 1981, de l'assassinat de John Lennon en 1980, de la déferlante Rubik's Cube... Et lors du plein essor grand public du disco, en 1977-1978, le mouvement punk en Grande-Bretagne clame bien haut et fort : "No Future".

 

Violemment tourné en ridicule par les amateurs de rock, le disco amorce son déclin aux États-Unis dès 1979. Les stars du disco disparaissent en quelques semaines des hit-parades, mais le genre influencera durablement la pop et la "dance music". Ceux qui voulaient être branchés se sont tournés vers de nouvelles formes de musique. Un engouement anti-disco a commencé en même temps, avec des stations de radio rock menant une campagne "Disco sucks!" qui culminera avec la «Disco Demolition Night» du Comiskey Park, où 59 000 menés par Steve Dahl détruirons des disques discos le 12 juillet 1979. La semaine suivante, six des dix chansons du palmarès américain étaient des pièces disco. Un mois plus tard, il en restait trois, et aucune en septembre. L'industrie du disque se trouva prise de cours devant ce changement, les majors ayant mis tous leurs œufs dans le panier du disco. Les bars qui passaient du disco sont revenus au rock'n'roll et la musique live est réapparue, en même temps que les habits disco reprenaient le chemin des garde-robes. Le disco a disparu brutalement, sous les assauts de l'ordre moral. Au début des années 1980, la plupart des experts ont déclaré que le disco était mort. Cette mort du disco à partir de 1979, résulte à la fois d'une sursaturation de production inférieure et de l'homophobie.

 

Le phénomène n'ayant pas réellement disparu influence encore les musiques d'aujourd'hui (house, techno, électro...), tout en continuant d'alimenter bien des DJ sur les pistes de danse, des albums complets comme celui de Cher Believe ou Ray of Light de Madonna, ou échantillonné dans des chansons de Notorious BIG et Robbie Williams, sans oublier «l'hommage» de Fabien Onteniente avec le film Disco ou les tournées, sur scène, des artistes de l'époque. Dernière en date, Discollection tour avec Patrick Juvet, Ottawan, Village People...

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures : Alan Jones, et Jussi Kantonen, Saturday Night Forever : The Story of Disco, Chicago Review Press, 2000, Disco, Fashion, Costume, and Culture : Clothing, Headwear, Body Decorations, and Footwear through the Ages, The Gale Group, Inc., 2004, Jacques Pessis, et Célina Jauregui, Les années Disco, Chronique (Editions), 2006, Peter Shapiro, Turn the beat around : L'histoire secrète de la disco, Editions Allia, 2008, Alice Echols, Hot Stuff : Disco and the Remaking of American Culture, W. W. Norton & Company, 2010, Jean-Marie Potiez, et Alain Pozzuoli, Dico du Disco, La Renaissance du Livre, 2014, Olivier Monssens, Disco Europe Express, Arte, 2017 (documentaire), et http://www.telerama.fr/television/disco-europe-express-dans-le-secret-des-hits-a-paillettes,n5481763.php, Grégory Draï, La fièvre des années disco, France 3, 2018 (documentaire), http://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/la-fievre-des-annees-disco,111699951.php, et http://www.telez.fr/2016/12/30/les-annees-disco-france3/, http://brain-magazine.fr/article/news/15918-Tr%C3%A9sor-cach%C3%A9---Alec-R.-Costandinos, https://www.britannica.com/art/disco, https://www.lemonde.fr/culture/article/2008/04/07/musique-comment-le-cinema-a-perverti-l-esprit-libre-et-novateur-du-disco_1031822_3246.html, et http://www.nostalgie.fr/annees-70/actualites/qu-est-ce-que-le-disco-287755.

 

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