1789, l'année de tous les possibles (partie 9)

La bonne volonté du roi ne peut empêcher que la peur, alimentée par les rumeurs les plus folles ne gagne le royaume. Des aristocrates quittent précipitamment la France : le comte d'Artois, jeune frère du roi, mais aussi le prince de Condé, le baron de Bréteuil, les Polignac... Et avec la nouvelle du 14 juillet, les campagnes veulent aussi faire entendre leur voix. Elle aveint déjà été touchées durant le printemps 1789 par des émeutes de subsistance mêlant petit peuple des villes et celui des campagnes qui ont lieu sur les marchés, avec des entraves à la circulation des grains, des perquisitions chez les détenteurs de subsistance, des taxations ou des perquisitions. Ils s'en prennent aux droits féodaux et seigneuriaux, et ce mouvement de contestation qui ressemble aussi à une «guerre du blé» a touché le Vermandois, la Thiérache, et surtout le Cambrésis, où les grosses abbayes sont ciblées, tandis qu'en Provence, on investi les monastères, dévaste les châteaux, détruit les clôtures, et saisit les droits seigneuriaux, et au Dauphiné, des paysans refusent de payer ce qu'ils doivent au marquis d'Ornacieux au fait qu'il doit montrer de titre justificatifs de ses droits seigneuriaux, auxquels on peut ajouter le Lyonnais, le Languedoc, la Normandie et la Champagne. Plus inquiétant, autour de Versailles et de Paris, dans les territoires de chasse réservés au roi et aux aristocrates, de véritables hécatombes d'animaux ont lieux et des hommes en arme mettent en fuite les gardes chasses chargés d'intervenir. Même si le calme est revenu c'est sur ce terreau que se développe la Grande Peur.

 

La Grande Peur atteint les trois quarts du territoire, entre le 20 juillet et le 6 août 1789. Elle née avec la diffusion des mouvements révolutionnaires à Paris, et elle est la rencontre de 4 grandes peurs, qui par les événements politiques n'en font plus qu'une : la peur du brigand que des aristocrates armeraient pour ravager les récoltes et massacrer le peuple, des bagnards de Brest, du «complot de famine», du «complot aristocratique», et des troupes étrangères. Dans nombre d'esprits les brigands, les accapareurs, et les soldats étrangers (Anglais et Piémontais) seraient les instruments d'une vengeance aristocratiques qui essaierait de montrer répression à l'appui que la prise de la Bastille serait sans lendemain. De nombreuses peurs locales se sont transformées en un traumatisme national. En fait, en dehors de Paris, les preuves documentaires d'une croyance à un tel complot avant le déclenchement de la panique semblent être assez maigres. C'est aussi une continuation des doléances, elle touche les régions où les poids de la féodalité sont forts, où les conflits et les procès avec les seigneurs se multipliaient : Bourgogne, Franche-Comté, Dauphiné. Elle a trait en particulier aux redevances féodales et aux biens communaux. Le mouvement se place dans la continuation de la lutte du tiers, par des affiches et des proclamations.

 

Parties d'au moins 6 épicentres (dédoublés) par certain situés dans le Clermontois, en Champagne, en Franche-Comté, en Angoumois, dans le Maine et la région nantaise, ce que George Lefebvre dans son livre la Grande Peur de 1789 en 1932, a appelé les paniques originelles déferlant sur le royaume, relayées par des paniques de l'annonce dans laquelle les rumeurs, vite déformées, viennent se joindre aux peurs pour faire prendre des armes à des communautés villageoises soucieuses d'autodéfense. Il s'agit souvent de groupes ou de bandes de plusieurs centaines (quelques villages), voire des milliers de paysans : 800 en Normandie, 2000 à 6000 dans le Maine, 4000 dans la Mâconnais, et 6000 en Franche-Comté. On s'alarme des nouvelles de la capitale car, Bailly, le maire de Paris, généralement peu réceptif aux thèses de complot, déclara qu'il soupçonnait que les prix élevés du grain sont «l'effet d'une combinaison odieuse pour asservir de plus en plus la métropole au despotisme ministériel», et des centaines de mendiants errent sur les routes et sur les campagnes, et les rumeurs en viennent aussi à penser que les aristocrates se serviront d'eux pour se venger de la victoire du tiers, à l'exemple de 4 mendiants qui  le 28 juillet à Ruffec, en Charente, satisfait du peu de résultat de leur quête revêtus d'habitat religieux, menacent de revenir en nombre et se cachent dans les bois. Souvent des paysans sont pris pour des brigands, et des milices urbaines pour des troupes étrangères. Elles se propagent de localité en localité, gagne des régions entières à une vitesse moyenne de 4 km/h, particulièrement dans l'Est et l'Ouest, et cette diffusion emprunte différents canaux : tocsin, courrier, cheminement de voyageurs, initiatives d'autorité locales. Lorsque la Provence et les Pyrénées sont atteintes le 5 et 6 août, les trois quarts de la France sont touchés.

 

Dès lors, les milices ainsi formées et armées de façon sommaire, tandis que femmes et enfants se cachent, constatent l'inexistence de l'ennemi, chacun peut rentrer chez soi et reprendre ses activités; mais là où, de ce premier stade défensif, les paysans souvent en prétexte à des règlements de compte personnels, passent à un second stade, offensif, en se portant contre les châteaux ou les abbayes, la Grande Peur se transforme en une insurrection proprement révolutionnaire pour devancer une réaction seigneuriale, où l'on incendie et détruit les symboles des privilèges seigneuriaux, plus particulièrement les châteaux (plus de 60 000 on tété visités) avec leurs archives, références des impôts honnis, en croyant fermement bénéficier de la tolérance royale, dans ce qui sera appelée la «guerre aux châteaux» et qui éclate dans 7 régions, faisant suite à la réclamation des communautés paysannes des titres de propriétés, les terriers (2000 ont brûlés), les preuves de ce qu'il faut payer, et devenus dans les années 1760, les symboles d'une réaction féodale très ciblée, et enfin, ce stade offensif peut également se transformer en  réjouissances avec des rituels carnavalesques, et vérification des archives qu'on brûle. Les paysans se firent aussi restituer, çà et là, les fusils qu'on leur avait confisqués; ils massacrèrent les pigeons. Les attaques semblaient viser tous les groupes et individus que l'on soupçonnait d'amasser le grain ou d'exploiter plus généralement les classes inférieures : seigneurs, administrateurs royaux, percepteurs, membres du clergé, bourgeois ayant récemment gagné des procès et fermiers exploitant des terres que les paysans considéraient comme communales. On trouve, en revanche, au beau milieu de la Peur, beaucoup d'exemples de solidarité verticale entre noblesse et roturiers, puisque sous la direction du seigneur lui-même ou d'un ancien militaire on organise la défense contre le complot aristocratique. Des curés et des seigneurs marchent au 1er rang de ces mouvements. Mais, la Grande Peur se retourna assez fréquemment contre les nobles et le haut clergé, réputés comme ses instigateurs.

 

La plupart du temps, cette flambée de violence est sans cause, généralement sans victimes – sauf exception – mais qui témoignent du désarroi des ruraux. Après des mois de disette, la Grande Peur exprime. La colère des paysans contre toutes leurs servitudes. La révolution des villes a provoqué par résonance celle des campagnes; le contrecoup qui repart va, à son tour, affecter Versailles, car l'Assemblée doit trouver une solution pour enrayer cette menace qui affecte tous les possesseurs du sol, nobles et bourgeois. La bourgeoise constituante est choquée, elle condamne les révoltes, en dehors de quelques bourgeois qui ont marché contre les châteaux. Pourtant, le 20 juillet, Robespierre avec Buzot s'oppose comme les Bretons Deformon et Glezen aux mesures proposées par Lally-Tolendall pour éteindre les troubles, qui sont celles de déférer devant la justice tout perturbateur à l'ordre et de créer des milices bourgeoise. Entre le 20 et le 23 juillet, Robespierre s'oppose à la répression des émeutes. L'Assemblée décide alors qu'un tribunal devra juger les coupables, ce qui enlève à la justice prévôtale royale de juger le mouvement dans son ensemble. Les autorités urbaines et les gardes bourgeoises ont durement réprimées les manifestations dans le Mâconnais et le Dauphiné, marchant contre les foules et condamnant les meneurs (23 en juillet, une centaine par la suite). Le front commun entre paysans et bourgeois est fissuré, sinon rompu, le mouvement paysan vise d'autres buts que la bourgeoisie constituante, homogène dans ses revendications et contre des adversaires communs, et tant que leurs revendications ne seront pas satisfaites, une agitation endémique va courir les campagnes.

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures : Jean-Clément Martin, La Révolution française, 1789-1799, Éditions Belin, 2003, et Robespierre, la création d'un monstre, Perrin, 2016, Serge Bianchi, Des révoltes aux révolutions - Europe, Russie, Amérique (1770-1802). Essai d'interprétation, Collection Histoire, Presses Universitaires de rennes, 2004; Michel Biard et Pascal Dupuy, La Révolution française : dynamiques, influences, débats, 1787-1804, Armand Colin, coll. «U», Paris, 2004, Michel Biard, Philippe Bourdin, et Silvia Marzagalli, Révolution, Consulat, Empire (1789-1815), Belin, 2014, Historia, La Révolution française du chaos à l'unité, Historia, 2014, Jean-Pierre Jessenne, Révolution et Empire 1783-1815, Hachette, 2014, Georges Lefebvre, La grande peur de 1789, Armand Colin, 2014, Hervé Leuwers, Robespierre, Fayard, 2014, Renaud Thomazo, 1789, La révolution qui a changé notre histoire, Larousse, 2015, Mathilde Larrère, Vincent Lemire,‎ Félix Chartreux,‎ Maud Chirio,‎ et Eugénia Paleraki, Révolutions - Quand les peuples font l'histoire, Belin, 2017, et https://journals.openedition.org/ahrf/1298.

 

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