L'affaire Bernhard Goetz, ou le côté peu reluisant du vigilantisme

Nous allons voir aujourd'hui, le cas de Bernhard Goetz, qui a tiré et blessé quatre jeunes hommes noirs qui, selon lui, étaient sur le point de le voler dans le métro en 1984. Il a finalement été innocenté de tentative de meurtre et a passé moins d'un an de prison pour armes à feu illégales possession; aujourd'hui, Goetz vit toujours à New York. Mais plus de 30 ans plus tard, le cas de Goetz reste tristement résonnant : il a conduit à un débat national sur la race, le crime et les limites de la légitime défense.

Bernhard Goetz, un électronicien, âgé de 37 ans qui a été qualifié de «solitaire moyen» par son avocat, a déjà été agressé en 1981 par trois jeunes afro-américains à l'intérieur du métro pour lui voler du matériel électronique, et l'un d'eux l'avait jeté dans une porte en verre plat et il avait en conséquence eut des cartilages déchirés dans la poitrine et des lésions aux genoux. Il a été gravement endommagé psychologiquement par ces anciens agresseurs et dans son esprit avec une vision stéréotypée, les jeunes noirs sont des agresseurs, si ces quatre garçons avaient été blancs, il n'aurait pas supposé qu'ils étaient là pour le harceler avant d'avoir réellement essayé de le faire. Il a demandé un permis d'armes à feu, mais sa demande a été refusée. Cela l'a incité à acheter illégalement une arme à feu qu'il a utilisée plus tard dans le métro de New York. Lorsque Darrell Cabey, James Ramseur, Troy Canty et Barry Allen sont montés dans la même rame que Goetz le 22 décembre 1984, il a affirmé qu'ils l'avaient entouré et exigé 5 $ (Au tribunal, Canty a déclaré qu'ils avaient demandé 5 $, mais qu'ils n'avaient pas menacé Goetz). Goetz s'est immédiatement levé de son siège et a tiré sur les quatre adolescents, paralysant Cabey de la taille aux pieds. Goetz s'est d'abord enfui du lieu du crime, son identité demeura un mystère, a été surnommé le "justicier du métro" par la presse et salué par beaucoup comme un héros, mais il s'est rendu huit jours plus tard. La police a reçu des centaines d'appels le 4 janvier 1985 pour le soutenir, venant de Chicago, Hawaï, de la frontière canadienne..., ou pour payer sa caution, d'autres proposaient sa candidature comme maire.

L’affaire Bernhard Goetz, ou le côté peu reluisant du vigilantisme

Le langage qu'il a utilisé lors de ses entretiens avec la police lui avait aliéné beaucoup de personne. "Je ne suis pas un combattant, ou quelque chose comme ça, mais vous devez penser de manière froide à New York", a-t-il déclaré (via le New York Times). Il y avait également des déclarations contradictoires sur ce qui s'était passé dans le métro. Goetz a déclaré que les adolescents l'avaient entouré, mais Ramseur a affirmé qu'un seul d'entre eux, Canty, s'était approché de Goetz. Les autres ont soit essayé d'aider leur ami blessé, soit se sont mis à courir. Certains témoins qui étaient présents sur les lieux ont attesté de la déclaration de Goetz, mais un certain nombre ont soutenu la demande de Ramseur. Il est également apparu que Cabey était déjà blessé lorsque Goetz a déclaré : "Vous n'avez pas l'air trop mal, en voici une autre", avant de lui tirer dans le dos, endommageant à son tour sa moelle épinière. Il est désormais largement admis que la réponse de Goetz était disproportionnée à la menace à laquelle il prétendait être confronté. Á un journaliste, il déclare que la mère de Cabey aurait dû l'avorter, et face à un autre, il se prononce en faveur d'un armement général. Dans l'émission de radio du fondateur de Guardian Angels en 1985, Curtis Sliwa, lors de son interview avec Goetz au téléphone, il eut le droit à cette réplique effrayante sur ses tirs : «Je regrette beaucoup de choses dans ma vie. Je ne pense pas que ce soit l'une d'entre elle.»

En février 1985, les familles se portent en partie civile et organisent un meeting de protestation après la décision des juges le 29 janvier de ne pas inculper Goetz d'avoir tiré mais pour port d'arme illégal. Mais finalement en mars 1985, devant un jury, il est finalement inculpé pour meurtre. Au cours du procès pénal en 1987, Goetz a reconnu qu'il voulait tuer les adolescents. "Je voulais mutiler ces gars. Je voulais les faire souffrir de toutes les manières possibles. Si j'avais plus de balles, je les aurais tirées encore et encore. Mon problème était que je n'avais plus de balles", a-t-il déclaré. Malgré ces aveux accablants, le jury à majorité blanche (dont certains avaient connus des agressions) a conclu que Goetz avait agi en état de légitime défense, du fait que les quatre jeunes avaient un casier, et n'était pas coupable de tentative de meurtre. Goetz a purgé 250 jours de prison pour port d'arme illégal. La famille de Cabey a poursuivi avec succès Goetz en 1996 au civil et a gagné 43 millions de dollars (18 millions de dollars pour douleur et souffrance passées et futures, et 25 millions de dollars en dommages-intérêts punitifs), mais selon Newsweek, on ne sait pas quelle partie de cette somme il a réellement été pays, surtout que Goetz a déclaré faillite. Lors de la déposition de l'action civile intentée contre Goetz par Darrell Cabey, un élément inquiétant de son caractère est apparu. Goetz a admis avoir fait "plusieurs déclarations" lors d'une réunion de l'association des constructeurs en 1980 pour discuter du nettoyage de la 14e rue, notamment : "La seule façon de nettoyer cette rue est de se débarrasser des n***ers (noirs) et les sp*cs (hispaniques)." Lors de la déposition, il a dit qu'il avait honte de ce qu'il avait dit et s'était excusé, mais pour un certain nombre de personnes, cela a confirmé ce qu'ils pensaient déjà de lui et de la fusillade : c'était motivé par le racisme et les préjugés inconscients.

Le procès de Goetz a été un paratonnerre pour de nombreuses questions qui affligent la ville, à la fois sociale et politique. Selon le magazine Time, la ville de New York des années 1980 était caractérisée par la paranoïa du crime. Entre 1965 et 1984, le taux de criminalité violente de la ville avait presque triplé en raison de la crise économique actuelle et de l'épidémie de cocaïne. Rappelons simplement que le nombre de meurtres annuels à New York est passé de 482 en 1960 à 1814 en 1980 (la population avait pourtant baissé entre temps) alors que le métro de l'agglomération devient l'un des lieux les plus dangereux d'Amérique. Cette actualité transparaît dans de nombreux films de l'époque, comme The Warriors (1979) de Walter Hill ou bien Escape from New York (1981) de John Carpenter dans laquelle la grande métropole, devenue une prison à ciel ouvert, est laissée aux mains des gangs.

Lorsque le procès de Goetz a commencé, beaucoup de gens le voyaient comme un héros en ayant marre de la vague de criminalité toujours croissante. Des autocollants pour pare-chocs "Roulez avec Bernie - il les Goetz!" ont été vendus dans tout New York. Selon un sondage du New York Times de 1985, 52% des résidents étaient «généralement favorables aux actions de M. Goetz». Quatre livres contant son épopées se disputent déjà le marché. Même Joan Rivers aurait envoyé à Goetz un télégramme "d'amour et de baisers" après l'incident. Pendant un certain temps, beaucoup dans les médias et parmi le public ont salué le geste de Goetz comme un héros en croisade, mais plus la presse a appris et rapporté les détails de la fusillade, moins l'opinion envers Goetz est favorable. Les médias ont comparé Goetz au personnage de Charles Bronson dans «Death Wish». On cherchait plutôt les motivations de ses victimes, qu'on chargeait allégrement dans la presse, alors que l'on effaçait le côté peu reluisant de Goetz. Malheureusement ni le maire, ni le gouverneur de l'époque n'ont souhaité prendre position dans cette affaire.

Frank Miller, le dessinateur et scénariste du comics Daredevil entre 1979 et 1983, qui a connu la violence du New York des années 1970 et 1980, confie à Kim Thompson en 1985, pour The Comic Journal, #101 : «Un Bernard Goetz suffit, bien que je sois surpris qu'il n'y ait pas plus de personnes qui fassent ce qu'il a fait.» Pour lui, les villes ont besoin de héros qui répondent à la brutalité par la brutalité, comme dans The Dark Knight Returns (1986), mettant en scène un Batman vieillissant, peinant au milieu de Gotham City. Alors que le Justicier de New York, se tourne en 1984, au moment où l'affaire a lieu, le réalisateur Michael Winner dira en 1985 qu'il approuve le geste de Goetz, mais il fait savoir qu'il n'approuve pas cette brèche à la loi, du fait qu'il soutien la police. Et la Cannon fait la promotion du film en profitant de l'affaire Goetz, ce qui pousse Charles Bronson à dire qu'il n'approuve pas le vigilantisme, déclarant qu'il ne devrait pas avoir de magasins d'armes, et que la période de la lutte des frontières est terminée, et que les seuls qui devraient posséder des armes sont ceux qui se trouvent dans les livres d'histoire.

Depuis lors, Goetz a capitalisé sur son statut de célébrité controversée. Il a concouru sans succès pour être maire en 2001 et avocat public en 2005, il est aussi apparu sur Where Are They Now de VH1, Aftermath with William Shatner et The Howard Stern Radio Show. Selon Newsweek, il est également devenu un activiste végétarien et passe son temps à soigner des écureuils blessés à New York. En 2008, il a été repéré lors d'un défilé des droits des animaux appelé Veggie Pride. En 2013, Goetz a été arrêté pour avoir tenté de vendre pour 30 $ de marijuana à un officier de police, mais a été libéré peu de temps après. Dernièrement, cependant, Goetz semble garder un profil bas. En réponse à une histoire de l'édition Insider 2019, il a simplement répondu par e-mail qu'il "ne faisait aucune interview pour le moment". Et ses victimes eurent une vie beaucoup plus difficile que lui. Selon un article du Los Angeles Times de 1995, Canty a passé du temps en cure de désintoxication et a suivi une formation de mécanicien. Il a été reconnu coupable de vol à l'étalage en 1990 et a terminé un an de probation dans le comté de Westchester en 1991. Allen a purgé une peine de 54 $ en prison pour avoir volé un diabétique de 58 ans. Ramseur a été reconnu coupable d'avoir violé, sodomisé et volé une femme enceinte en 1986 lors du procès de Goetz. En 2011, il a été retrouvé mort, sa mort ayant fait l'objet d'une enquête sur une surdose apparente et un suicide possible.

Quelque 35 ans plus tard, «Joker» en 2019 présentait une scène dans le métro clairement modelée sur l'incident de Goetz. Le héros Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) est sur le chemin du retour après une autre journée démoralisante au travail quand les choses tournent mal dans un métro de New York. Il se met à rire de façon incontrôlable, un symptôme de l'affect pseudobulbaire (AAP), le trouble neurologique dont il souffre. Le déchaînement d'Arthur attire l'attention de trois hommes en costume qui harcèlent une jeune femme assise près d'eux. Ils se rapprochent de lui, l'un d'eux chantant «Send in the Clowns», et il continue de rire de façon maniaque. Initialement divertis par ses caquètements, leur perplexité se transforme en rage et dégoût. Les garçons de la ville commencent à le harceler, lui arrachent ses affaires, avant de le conduire au sol et de le frapper à plusieurs reprises. Arthur répond en sortant son arme et en tirant tous les trois morts, avant de se précipiter, non détecté, dans la nuit. Il plonge la ville dans l'hystérie et la mythologie Joker est née. Et Netflix, dans Trial By Media en 2020 s'est aussi intéressé à l'affaire dans l'épisode 2, intitulé «Subway Vigilante», et montre à quel point cette affaire était médiatique et controversée.