Lady Sapiens, une femme active et indépendante

Que savons-nous de la femme de la Préhistoire ? Oubliée par les préhistoriens du XIXème siècle, qui la confinent à un rôle de mère craintive, la femme de Cro-Magnon pourrait cependant être bien plus active et autonome que nos préjugés ne le laissent penser. Cette vision change dans les années 70 avec l'apparition des premières féministes américaines. Le métier d'archéologue et le milieu des préhistoriens se féminise aussi. La femme retrouve enfin sa place dans le grand livre de la Préhistoire grâce aux découvertes de ces cinquante dernières années permettent de brosser un portrait bien plus précis et complexe des femmes du paléolithique supérieur (-45 000 à -12 000 ans), battant en brèche nombre d'idées reçues. Un renversement que symbolise à lui seul le changement de sexe du célèbre Homme de Menton, rebaptisé Dame du Cavillon : une étude a révélé que ce squelette robuste était celui d'une femme !

Ainsi, les avancées de la science (notamment en matière d'analyse génétique) ont permis de reconstituer un portrait de cette femme des cavernes, à la fois précis ... et inattendu puisque physiquement, on a des éléments qui nous permettent de casser un petit peu l'image d'Épinal d'une femme extrêmement fragile et replète. Nous sommes sur une femme plutôt grande, athlétique, musclée, avec les yeux bleus, la peau noire et les cheveux crépus. Cette robustesse insoupçonnée a d'ailleurs induit en erreur les premiers chercheurs, à une époque où on déterminait le sexe des squelettes d'après la solidité de leur ossature. Il en va ainsi pour "l'Homme de Menton", rebaptisé "La Dame du Cavillon", découvert dans une sépulture splendide, indice du statut privilégié dont jouissaient certaines femmes au sein de leur tribu et lorsqu'Emile Rivière fait la découverte de cette fabuleuse sépulture en 1872, tout de suite on pense que c'est un homme. En plus, la sépulture est très riche : la tête est coiffée de centaines de coquillages, ornée de craches (canines) de cerf ... mais on découvre que c'est une femme : chambardement dans la préhistoire. Cette femme était respectée, on a apporté énormément de soin à sa sépulture au moment de son ensevelissement.

On la croyait faible et sans défense, on la découvre chasseresse, combative et puissante. Contrairement aux idées reçues, les hommes n'étaient pas les seuls à chasser, et les femmes ramenaient aussi du gibier, car la chasse, ce n'est pas uniquement le lancer de javelot. C'est aussi aller sur le terrain, là où on va chasser. Sur le site de Pincevent en région parisienne, le nombre important d'ossements de rennes retrouvés sur un campement, prouve que les femmes participaient aux grandes chasses, car il faut aussi ramener l'animal, le dépecer. Et les femmes sont extrêmement présentes dans ces activités-là, car les femmes préhistoriques n'attendaient donc pas le retour des chasseurs pour cuisiner le gibier, comme on l'a théorisé au 19e siècle, et tuaient régulièrement le petit gibier. Au cœur d'une montagne péruvienne, six pointes de projectiles d'arcs de chasse ont été découvertes dans la sépulture d'une femme datant de 9000 ans. Les études sur la musculature des femmes préhistoriques ont montré qu'elles étaient faites comme des athlètes de haut niveau. Certaines études montrent même que les femmes de l'époque avec une musculature plus développée que nos athlètes hommes actuels. Une forme physique née d'activités extérieures intenses, loin du foyer. La préparation des armes, le repérage des animaux, la mise en œuvre de la stratégie de chasse et, une fois la bête tuée, le dépeçage, la préparation culinaire, le travail de la peau... Il y a toute une série de tâches auxquelles elles participaient.

On la pensait bestiale et primaire, la science révèle qu'elle maîtrisait de nombreux savoirs et prenait soin de son corps et de son apparence. Parmi les enseignements des découvertes, il apparaît que la répartition des tâches, lors de la préhistoire, se faisait moins entre hommes et femmes qu'en fonction des compétences de chacun. Non, les femmes préhistoriques ne passaient pas leur temps à balayer la grotte ! Des plantes médicinales retrouvées sur un site près du lac de Tibériade accréditent leur capacité de guérisseuse. De très rares traces d'objets tressés en matière végétale, conservés dans l'argile près de la vénus noire de Dolni Vestonice en République tchèque, et les mains féminines sur les fresques des chevaux, joyau paléolithique du site Pech Merle dans le Lot, mettent en avant leur participation aux activités artisanales et artistiques.

On a l'impression que les femmes sont objectifiées, que ce sont les hommes qui décident de tout. Avec la paléogénétique, on s'aperçoit qu'au paléolithique, il y avait autant d'échanges de femmes que d'hommes. Pourquoi avoir ce modèle patriarcal de l'imposition d'un homme à une femme ? Se penchant sur la question de la sexualité de nos ancêtres, les scientifiques indiquent qu'un métissage génétique très ancien laisse entendre que les risques liés à la consanguinité étaient connus dès le paléolithique. Les archéologues pensent d'ailleurs avoir identifié l'un des sites où s'organisaient les rencontres permettant les brassages de population il y a 12 000 ans. Il est situé à Gönnesdorf, près de Coblence en Allemagne. Au cours de ces grands rassemblements, devaient être conclues des alliances entre tribus, matérialisées par des échanges d'individus, prémices à des unions conjugales. Sachant que la population vivant en Europe à cette époque ne dépassait pas les 150 000 individus, on imagine que les participants à ces grands-messes venaient de loin. En attestent d'ailleurs des gravures sur des plaques de schiste retrouvées sur place et qui représentent des phoques alors que la mer la plus proche est à près de mille kilomètres de là. À partir du moment où la femme apporte sa culture en changeant de groupe, amène ses traditions et ses croyances, elle est tout à fait à même de pouvoir choisir un homme.

Les femmes préhistoriques accouchaient dans beaucoup de positions différentes, mais certainement pas allongé sur le dos. Les positions verticales sont avantageuses quand on accouche. On a une meilleure ventilation pulmonaire et on a moins de douleur. On profite de la gravité. Il n'y a pas d'incapacité anatomique, chez homo sapiens, pour accoucher. La position de la femme allongée avec les jambes dans les étriers, c'est contre-nature. La position verticale, la gravité, ça facilite le passage du bébé dans le canal pelvien. La médecine a voulu aider les femmes, mais en les positionnant allongées, cela ne leur a pas facilité de travail, car la position bloque les hanches. Dans les tableaux, la femme préhistorique est représentée entourée d'une marmaille incroyable accrochée à ses seins. En vérité, elle a une bonne connaissance des cycles de son corps. Elle a compris que quand elle n'a plus ses règles, elle est enceinte. Elle connaît aussi très bien les plantes et elle sait celles qu'elle peut utiliser pour mettre fin à une grossesse. Grâce à l'étude des dents, les scientifiques peuvent dater l'âge de l'introduction de la nourriture variée. Lady Erectus qui allaitait ses enfants jusqu'à l'âge de quatre ans, ne pouvait mettre au monde guère plus de quatre enfants entre ses 15 et 35 ans. Chez Lady Sapiens, la durée de l'allaitement diminue, ce qui lui permettait d'avoir cinq ou six enfants. Les découvertes récentes montrent que les grands-mères prenaient en charge l'alimentation des jeunes enfants en creusant le sol à la recherche de tubercule, libérant les mères de leurs tâches nourricières.

On l'imaginait soumise, elle était respectée, honorée, vénérée... Dans la mort, la femme pouvait aussi être honorée. La sépulture de la Dame de Cavaillon recèle deux fines lames de silex prélevées à 150 kilomètres, une coiffe tressée de coquillages et une centaine de canines de cerfs mâles et femelles. Une marque de respect et le début de l'expression d'une croyance... Mais, il existe trop peu de sépultures d'Homo sapiens dans le monde, et encore moins de femmes Sapiens. Difficile donc de savoir si son corps a été ainsi préparé en raison de son rôle ou du statut de sa famille. "Il faut admettre que l'on ne sait pas, et se garder de vouloir surévaluer l'importance de Lady sapiens lorsque le matériel archéologique n'est pas assez parlant."

Et si l'âge de glace était aussi l'âge de la femme ?