Le Bloody Sunday, le déclencheur de 30 ans de conflit entre deux vi...

Aujourd'hui l'Irlande du Nord commémore ce dimanche 30 janvier l'un des épisodes les plus sanglants des violences qui ont opposé pendant trois décennies républicains, surtout catholiques, et unionistes en majorité protestants, dans un contexte mouvant pour la province britannique. Cinquante ans plus tard, le climat dans la province britannique rappelle que les plaies ne sont pas refermées et certaines colères resurgissent, par les conséquences du Brexit.

Le 30 janvier 1972, l'armée britannique ouvre le feu, dans la banlieue de Bogside en Irlande du Nord, sur une manifestation pacifique organisée par l'association nord-irlandaise des droits de l'homme (NICRA) qui avait publié un programme en février 1967 demandant un suffrage universel réel, l'abolition du découpage électoral, et la réforme de la police et pour se faire avait organisé des marches de protestations, des sit-in, etc., quitta ce jour-là le ghetto de Creggann en direction du centre-ville de Derry, demandant l'égalité des droits entre catholiques et protestants en Irlande du Nord. Avec à leur tête Bernadette Devlin, jeune députée catholique au Parlement de Westminster, les manifestants du jour brandissent des pancartes réclamant la fin de l'internement sans procès de militants de la communauté catholique. Le désastre se joue peu après 16h30. Des parachutistes britanniques du premier bataillon amenés en renfort de Belfast sont postés au croisement de Bishop Street et de Rossville Street, à la lisière du Bogside. Alors que se termine la manifestation - la plus grande jamais organisée à Londonderry -, des jeunes quittent le flot du cortège pour se diriger vers le poste avancé des soldats. La situation dégénère. D'une voix stridente, Bernadette Devlin donne l'ordre de dispersion. Mais les paras sont sortis de derrière leurs barricades. Ordre leur a été donné d'investir le Bogside. Une fois dans cette forteresse du catholicisme en Ulster, manifestants et militaires disparaissent dans un dédale de petites rues misérables, mal éclairées et où depuis des années nul policier, nul soldat n'a osé pénétrer. Alors, soudain éclate le drame. On tire, on hurle, on fuit. Dans la nuit, le froid, le brouillard des gaz lacrymogènes et une atmosphère d'apocalypse. Le bilan est extrêmement lourd : 14 civils, dont la moitié n'a pas 20 ans, décèdent de leurs blessures.

Si l'événement est passé à la postérité grâce notamment à la chanson Sunday Bloody Sunday de U2, peu de personnes savent ce qu'il s'est réellement passé ce jour-là. Les manifestants, tous catholiques du Nord, défilaient pour protester contre la politique britannique d'internement des nationalistes irlandais présumés, mais les autorités britanniques avaient ordonné l'interdiction de la marche et envoyé des troupes pour affronter les manifestants lorsqu'elle se poursuivait. Il faut dire que la crise en Irlande du Nord s'est aggravée en 1969 lorsque des troupes britanniques ont été envoyées dans la possession britannique pour réprimer l'activité nationaliste de l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et pour réprimer la violence religieuse entre protestants et catholiques suite à des émeutes intercommunautaires et le début des "Troubles" dans la province, du fait qu'en Irlande du Nord, les catholiques sont en effet discriminés face aux protestants, unionistes, qui dominent cette région de l'île depuis la partition en 1921, et ils dénoncent une situation «d'apartheid», des discriminations dans le vote, le logement, les emplois publics, surtout après qu'une marche à Londonderry le 5 et 6 octobre 1968 interdite par les autorités dégénéra en affrontement entre la police et 2000 manifestants, qui aboutit au printemps 1969 à la multiplication des attentas qui força à envoyer les troupes comme force d'intervention qui furent d'abord bien accueillies par les catholiques et conspuée par les protestants, ce qui changea avec l'assaut du quartier catholique de Falls Road à Belfast le 3 juillet 1970, qui coûta la vie à 5 civils, et les faisant devenir cible d'attentats. Ce régime, imposé en août 1971 par Londres en Irlande du Nord, symbolise alors pour le mouvement républicain, l'arbitraire britannique et la "résistance nationale", bien aidé par la radicalisation des protestants avec l'émergence du pasteur Ian Paisley, un anticatholique fanatique et fondateur du Parti Démocrate Unioniste (DUP).

Les meurtres ont attiré l'attention du monde entier sur la crise en Irlande du Nord et ont déclenché des protestations dans toute l'Irlande. À Dublin, la capitale de l'Irlande indépendante, des citoyens irlandais indignés ont mis le feu à l'ambassade britannique le 2 février. En avril 1972, le gouvernement britannique a publié un rapport exonérant les troupes britanniques de toute action illégale lors de la manifestation de Londonderry. L'indignation irlandaise à l'égard de la politique britannique en Irlande du Nord a augmenté et la Grande-Bretagne a accru sa présence militaire dans le Nord tout en supprimant tout vestige de l'autonomie du Nord, appuyés par les protestants, fidèles à la Couronne d'Angleterre. En réalité, le massacre de Bogside permet toutefois de comprendre le regain de violence auquel on assiste dans la région. L'organisation clandestine - qui verra les adhésions affluer -, se défend d'avoir provoqué le "massacre" et annonce des représailles. À Derry et dans le reste de l'Irlande du Nord, de nombreux jeunes ont pris les armes après le Bloody Sunday parce qu'ils avaient le sentiment de n'avoir pas d'autre choix. S'ils devaient être abattus en militant pour leurs droits, beaucoup préféraient le faire une arme au poing. Beaucoup l'ont été. Le 21 juillet 1972, l'IRA a fait exploser 20 bombes simultanément à Belfast, tuant des militaires britanniques et un certain nombre de civils. La Grande-Bretagne a réagi en instituant un nouveau système judiciaire composé de procès sans jury pour les suspects de terrorisme et les taux de condamnation ont dépassé 90 %. En trente ans, le conflit armé en Irlande du Nord a fait 3 720 morts et plus de 47 000 blessés.

L'IRA a officiellement désarmé en septembre 2005, remplissant enfin les termes de l'accord de paix historique du Vendredi Saint de 1998. On espérait que le désarmement mettrait fin à des décennies d'effusions de sang politiquement motivées dans la région. En 2010, les victimes du Bloody Sunday ont été entièrement disculpées lorsque Lord Saville a découvert que la majorité des victimes avaient été abattues dans le dos alors qu'elles s'enfuyaient ou aidaient quelqu'un dans le besoin. Le rapport a fait la une des journaux du monde entier. Lors d'excuses solennelles aux familles, le Premier ministre David Cameron a qualifié l'action de l'armée comme "injustifiable". Dans le quartier du Bogside, les fresques rappellent à chaque coin de rue le passé douloureux que les proches des victimes racontent jour après jour aux visiteurs. Quant à l'avenir, les proches des victimes du Bloody Sunday espèrent voir une Irlande pacifiée et unifiée. Cependant, la justice n'a jamais été rendue. Les coupables sont des militaires qui bénéficient de l'anonymat. Les procès ont été repoussés ou annulés.