Le jeudi saint, un dernier repas et une arrestation pour entrer dans l'histoire

Égérie nous montre entre 381 et 383 que le jeudi, dès le premier chant du coq, les activités commencent à la cinquième foire, selon la coutume de l'Anastasis, jusqu'à l'aube. En premier lieu, quelque chose qualifié de singulier. «Après l'adieu au Martyrum, on va derrière la Croix, on y dit un seul hymne, on y fait une prière, l'évêque y fait l'oblation et tous communient. C'est le seul jour de l'année qu'il soit offert derrière la Croix» (Itinéraire 35,2). Des services spéciaux ont de nouveau eu lieu dans les églises du mont des Oliviers, Eleona et Gethsémani, suivant les traces du Seigneur en ce jour saint. Gethsémani est située au pied du mont des Oliviers, là où Jésus a commencé sa passion et où l'empereur Théodose le Grand a construit une basilique en 385, qu'Égérie qualifie d'"élégante" (elegans), puis l'évêque et le peuple se sont rendus à Gethsémani. Là, jusqu'à environ la cinquième heure de la nuit, jusqu'à minuit, après une prière et un cantique, l'Écriture décrivant l'agonie du Seigneur dans le jardin a été lue (Matthieu 24, 3-14 et parallèles), puis on chante à nouveau des antiennes et des hymnes, on récite des prières. Egérie a noté que personne ne manquait de participer aux cérémonies restantes, bien qu'ils puissent être fatigués de leurs longues veillées et de leur jeûne. Les pèlerins pouvaient aussi selon l'Anonyme de Bordeaux en 333, lorsqu'ils allaient de Jérusalem vers la porte qui est à l'est, afin de gravir le mont des Oliviers, on traverse la vallée de Josaphat. Sur la gauche, là où il y a des vignes, on voit une pierre à l'endroit où Judas Iscariote trahit le Christ : à droite, il y a un palmier dont les enfants coupèrent des branches et les lancèrent sur le chemin lorsque le Christ vint. Et lorsqu'ils sortaient de Jérusalem pour gravir Sion, du côté gauche, plus bas dans la vallée, à côté du mur, où on trouvait un bassin appelé piscine de Siloé, c'est de ce côté, qu'on gravit le Mont Sion et l'on voit où était la maison du grand-prêtre Caïphe où il reste une colonne contre laquelle le Christ a été flagellé.

 

Le Jeudi 6 avril 30, les choses se précipitent pour Jésus, évitant toute prudence en donnant l'ordre à 2 disciples d'entrer à Jérusalem, et d'y préparer le repas du soir avec les 12 apôtres et son cercle restreint (sa famille, 3 femmes et peut-être d'autres disciples), tout se fait avec clandestinité et précaution. Ils trouvent un sympathisant grâce à un signal convenu qui leur offre une grande salle située dans la partie haute de la ville, où préparer le repas, cette dernière est ornée de tapis et de coussins. Puis, il entre pendant la soirée avec ses disciples à Jérusalem. Avant de commencer le repas, Jésus lave le pied de ses disciples, comme le serviteur et l'esclave de tous, ainsi il montre à ses disciples que le plus grand est celui au service de tous (Jean 13,1-6). Pendant le repas, Jésus fit une déclaration étrange : «L'un de vous me livrera.» Tous protestèrent bruyamment de leur innocence, même Judas : 'Est-ce moi rabbi ?' Et Jésus lui répondit : 'C'est toi qui le dis' (Matthieu 26,25). Le disciple bien-aimé, sans doute le frère de Jésus, Jacques est aussi présent au dernier souper, «couché près de la poitrine de Jésus» ce qui indique une certaine proximité et intimité, lui dit à la demande Pierre : «Seigneur, qui est-ce ?». Et Jésus lui répondit : «C'est celui à qui je donnerai le morceau trempé» (Jean 13,23-26).

 

Jésus partage son dernier repas de Pâques traditionnel avec ses disciples, organisé autour de la consommation de l'agneau sacrifié au Temple, à en croire Marc, Judas plonge avec Jésus la main dans le plat, cela est également confirmé par Matthieu, les 12 dinent aussi avec d'autres disciples et plongent peut-être leurs mains dans le même plat que lui, probablement de l'agneau pascal, des herbes amères, ou d'un mélange de fruits pilés qu'on associe au pain azyme et au morceau de l'agneau pascal. Jésus tend le morceau de pain azyme à Judas qu'il associe au rite et à la bénédiction divine. À travers ce morceau de pain, Jésus indique à Judas de le «livrer» et lui dit : «Ce que tu fais, fais-le promptement» (Jean 13,26-28). Ce qui donna la réponse à la question de son frère Jacques. À la fin du repas, Jésus prend la dernière matzah, le pain de l'affliction, et la troisième coupe de vin, celle du birkat ha-mazone, celle des actions de grâce après le repas. Le pain azyme est partagé entre les convives. Le pain et le vin sont des images du banquet de la fête du Royaume de Dieu, lorsqu'il offre du pain à chacun et fait boire à sa coupe, qui représente son don au Royaume jusqu'à sa mort, mais dans sa signification c'est avant tout un geste prophétique comme une alternative neuve au culte du Temple, car le service du Royaume se fera à travers l'expérience fraternelle du repas. Jésus n'y voit pas sa mort, ni une célébration en sa mémoire. Enfin, avec la 4e coupe, celle de l'hallel (Psaume de louange), Jésus confirme que le Royaume va arriver : «Je vous le dis en vérité, je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne, jusqu'au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu» (Marc 14,25).

 

Après le repas, le groupe se rendit dans un lieu nommé Gethsémani, au pied du mont des Oliviers, hors de Jérusalem, et il permit à ses disciples de prendre 2 épées pour se défendre (Luc 22,38), c'est là que les gardiens du Temple guidés par Judas trouvèrent les apôtres. Ils sont armés et c'est normal: ils doivent protéger celui qu'ils emmènent. Ils connaissent Jésus, Judas n'a pas besoin de le désigner. Judas embrassa son Maître devant tous en signe de respect et de soutien, et en disant : «Rabbi !» Un disciple tente bien de résister en tranchant l'oreille d'un soldat du temple (Jean 18,10), mais Jésus cesse le combat et se laisse prendre. Si Jésus ne fait rien, sans doute pensait-il que viendrait le jour de l'Éternel pour empêcher sa capture comme dans Zacharie 14, où l'Éternel viendra combattre les Nations et «Ses pieds se poseront, ce jour-là, sur le mont des Oliviers qui est vis-à-vis de Jérusalem, du côté est.» Il pouvait aussi fuit, mais il ne fit rien. Tous l'abandonnent ensuite dans la fuite (Marc 14,50), dont un jeune disciple qui s'enfuit nu. Jésus fut ligoté et les gardiens du Temple le trainèrent d'abord à la résidence de l'ancien-grand-prêtre Hanne, puis à la résidence privée du grand-prêtre Caïphe.

 

Il fut immédiatement trainé en justice dans une procédure inhabituelle en secret dans la demeure de Caïphe non pas devant le quorum complet du Sanhédrin, car ordinairement les fauteurs de troubles dans le Temple comparaissaient devant le conseil plénier du Sanhédrin, mais face à quelques membres réunis à la hâte, sans doute du tribunal compétent du grand-prêtre en matière religieuse, le ha-Cohen ha-gadol, et après un interrogatoire préalable, où on lui demande s'il reconnaît ses prétentions comme «le Messie, fils de Dieu» (Matthieu 26,63) et qu'il confirme en disant que «vous verrez désormais le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel» (Matthieu 26,64), la décision de remettre Jésus aux Romains fut encore plus exceptionnelle avec l'accusation de s'être proclamé «roi des Juifs» (Marc 15,2), puis il reçoit des coups et des humiliations pendant sa détention. Trompé, Judas jette les 30 pièces d'argent qu'il a reçu (Matthieu 27,5) et s'en va plein de regret. Quant à Pierre, qui a réussi à pénétrer au palais de Caïphe, soit en suivant Jésus de loin (Marc 14,54), soit en étant aidé par un disciple ayant ses entrées auprès du clergé, sans doute Jacques, le frère de Jésus, qui par sa mère Marie a des liens avec les milieux sacerdotaux (Jean 18,15), cependant reconnu et de peur d'être arrêté, il renie Jésus.

 

Pour aller plus loin, je vous conseille ces articles qui m'ont beaucoup aidé : Anonyme de Bordeaux en 333, Voyage d'Égérie entre 381 et 383, https://slate.com/human-interest/2007/04/how-one-woman-impacted-the-holy-week-liturgies.html, et http://www.archivalladolid.org/documento.php?Clave=201203AB, https://www.ccel.org/m/mcclure/etheria/etheria.htm, https://www.christianity.com/church/church-history/timeline/301-600/egerias-pilgrimage-blessed-the-ages-11629681.html, Armand Abécassis, Judas et Jésus une liaison dangereuse, Editions n°1, 2001, Riccardo Calimani, Jésus juif - les racines juives du christianisme, Privat, 2002, José Antonio Pagola, Jésus : Approche historique, Le Cerf, 2012, Paul Verhoeven, Jésus de Nazareth, Aux Forges de Vulcain, 2015, Christian-Georges Schwentzel, Les Quatre Saisons du Christ : un parcours politique dans la Judée romaine, Vendémiaire, 2018, et https://jamestabor.com/who-was-the-mysterious-disciple-whom-jesus-loved/.

Merci et bon jeudi saint !